SIDE EFFECT

" On était à Lutry pour fêter le premier août. Quelqu’un a mis de l’alcool à brûler sur le grill. Des vapeurs d’alcool sont passées sous mes habits. Au moment où on a allumé le grill il y a eu un retour de flamme et j’ai commencé à brûler sous mes vêtements.
Je suis arrivée au CHUV et ils m’ont mis une semaine dans le coma pour éviter les pires douleurs. En tout j’ai été brûlée sur 40%. 1 %, ça représente environ la taille d’une main.
Après le coma j’ai passé un mois aux soins intensifs. J’avais 16 médicaments qui me coulaient dans le sang en même temps…
Quand on est jeunes on se dit qu’on est invincibles, mais je me suis rendu compte que non, que la vie elle tient pas à grand chose. J’ai failli y rester et maintenant je profite plus des choses de la vie.
À l’hôpital j’ai rencontré une jeune fille qui avait une sclérose en plaque et ça faisait deux semaines qu’elle était aveugle. Elle allait de moins en moins bien et moi j’allais de mieux en mieux. Donc je n’avais juste pas le droit de me laisser anéantir.
Ça aide de pas se sentir tout seul, parce que si tu es seul tu ne sais pas pourquoi tu dois te battre. Moi je me fixais des objectifs. Et au fur et à mesure un progrès en appelle un autre. C’est une pente où au début tu as l’impression que rien ne se passe et puis tout d’un coup tu remontes.”

" Il y avait cette fille, Danaé, que je n’ai pas vraiment remarqué. J’ai pris le train pour traverser le Canada et aller jusqu’à Winnipeg. Et là, comme par hasard, je la retrouve dans le même train que moi.
Avant ce voyage je ne m’étais jamais posé de question sur ma sexualité, je ne pensais pas pouvoir tomber amoureuse d’une femme. Mais avec elle c’était vraiment évident.
On s’est embrassées pour la première fois sur le quai de la gare. On a voyagé ensemble pendant une semaine et demi à peu près. A un moment, ça devait faire trois jours qu’on se connaissait et elle m’a dit « Et si on allait se faire un tatouage ? ». J’ai dit oui tout de suite, sans réfléchir une seule seconde. J’étais dans un état d’esprit différent de celui de la vie de tous les jours, un état d’esprit où tu vis tout à 100 %.
Après on s’est quittées. Danaé est rentrée à Seattle et moi en Suisse. Pendant une année, on a continué à s’envoyer des mails. On vivait notre histoire avec un océan entre nous.
Même si maintenant ce n’est plus de l’amour que je ressens pour elle, c’est plutôt l’aventure qu’on a vécue ensemble qui est écrite sur moi. C’est sur que c’était à 19 ans, sur un coup de tête, mais j’ai été comme ça à un moment et j’aime m’en rappeler. Pouvoir faire n’importe quoi, n’importe quand, même si c’est un truc qui te marque à vie. “

" J’avais énormément de respect pour mon père. Un jour on s’est fâchés tout les deux très fort. Ça a vraiment explosé, c’était parti pour un détail, une connerie. Je suis monté dans ma chambre, j’ai fait mon sac et je suis parti. Pendant 8 mois on ne s’est pas du tout parlé. Et puis au fur et à mesure que j’avançais je me rendais compte qu’il me manquait quelque chose.
C’était le 22 juillet, on avait tous rendez-vous au dépôt le matin. Mais mon père n’était pas là… Normalement il était toujours ponctuel.
À 9h30 mon frère reçoit un coup de fil. Il ne m’a pas dit tout de suite, il m’a juste expliqué qu’on devait aller chez mon père. Arrivé dans le camion par habitude je mets la radio. Et il y a cette chanson de Stromae, « Papaoutai » qui passe au même moment. Mon frère s’est mis à pleurer, il pouvait plus se retenir, on a du s’arrêter. Il m’a dit : « Luca, papa il est plus là, il est parti.» Cash. Je me disais « Mais il est parti ou, en voyage, hors de Suisse ? Il en avais marre ? ». Mais il m’a répondu : « Non, non, il est plus là. Il ne sera plus jamais là. »
On a mis 20 minutes pour arriver jusque chez lui mais j’ai l’impression qu’on a fait 6 heures de route. On arrive sur place, une bagnole de flics, avec des voisins qui parlaient aux policiers.
Je voyais mon père sur ce brancard, et je le voyais sourire. Je le voyais heureux, presque.
Encore aujourd’hui je n’ai pas accepté, je n’ai toujours pas pu faire mon deuil. Je n’y arrive pas.
Ce tatouage c’est un hommage pour lui parce que c’était quelqu’un de bien. Il a travaillé dur toute sa vie, il a mis 25 ans à créer l’entreprise dans laquelle je travaille à présent. J’ai envie de percer dans cette entreprise, de la faire avancer, de la faire grandir. Je ne veux pas qu’elle coule. Je ne veux pas briser son rêve. “

« Quand j’avais 7 ans j’ai eu un accident de voiture avec ma mère. C’était un 24 décembre. Elle souffrait le martyr mais elle continuait à me parler pour que je reste réveillée jusqu’à ce que l’hélicoptère arrive tellement elle avait peur. Elle est tombée dans le coma.
Ma colonne vertébrale était fracturée, Mon rein avait été coupé en deux par la ceinture de sécurité. Un calcul s’est glissé entre les deux parties, ils l’ont laissé parce que c’était trop risqué de l’enlever. J’ai fait 6 mois d’hôpital.
Les médecins ont décidé de prendre mon lit et de le déplacer vers celui de ma mère, même si c’était interdit. On a tellement pleuré, elle qui était paralysée depuis l’accident elle a réussi à lever le bras et le tendre vers moi. Je lui disais : « Maman, réagis, je suis là ». Elle a pu me prendre la main. « M’abandonne pas maman, sois-là avec moi, ne meurs pas, je t’aime. »
Puisque j’étais petite c’est comme si mon cerveau mettait une barrière entre moi et l’accident, et maintenant que je suis adulte cette barrière va s’enlever à un moment. Par période dans mon sommeil je revis des bouts d’accident que j’avais oubliés, des douleurs que j’ai subies. Il y a un an et demi, ils ont dû me réopérer. Mon rein était en train de littéralement se déchirer à l’intérieur de moi.
Cette cicatrice-là m’a détruite moralement. Maintenant je me déteste. La douleur finit par passer, mais dans la tête ça ne s’efface pas. Jamais. »

" Je suis née avec une maladie génétique : la mucoviscidose. À mes 11 ans il y a eu le décès de Grégory Lemarchal. Du jour au lendemain tout les tabloïds annonçaient que les personnes atteintes de mucoviscidose décédaient à l’âge de 18 ans. Et quand tu as 11 ans et qu’on vient te dire que tu vas mourir dans 7 ans ce n’est pas facile.
Au fur et à mesure ma maladie s’est aggravée j’ai dû être hospitalisée à plusieurs reprises. J’ai du arrêter mes études pour me soigner. Le but concret de la maladie est de détruire les poumons.
Au bout d’un moment je n’avais plus aucun accès veineux à cause des antibiotiques qu’on m’injectait. On a du me mettre un PAC, c’est une sorte de capsule que l’on place sous la peau juste au dessus du cœur et qui permet un accès direct à la veine cave. Après la pose de mon PAC cela a été très difficile pour moi, maintenant je n’arrive plus à me montrer.
Chaque fois que je passe un cap dans ma maladie je me fais un tatouage pour ne pas oublier ce que j’ai traversé. Je me suis fait tatouer une autre phrase juste au niveau de la cicatrice pour me rebeller, pour reprendre cette partie de mon corps qui était à moi. Et j’y ai mis : « Notre éternité à chaque battement ».”

" Il y a deux ans j’ai eu un accident. C’est quand j’allais au gymnase, je me suis fait shooter par une voiture.
Je n’ai vraiment aucun souvenir de l’accident, je sais simplement ce que les témoins m’ont raconté et j’ai pu lire le rapport de la police.
Je sais que j’étais par terre, que j’avais vraiment mal, mais avec l’adrénaline j’aurai pu me relever. J’avais peur donc je voulais m’en aller.
Le pire ça a été quand je suis rentrée à la maison. J’avais la jambe cassée mais pas de plâtre puisqu’ils m’ont mis des broches à l’intérieur, sinon le bras cassé aussi, et la clavicule. Mes frères devaient tout faire pour moi.
Il n’y a pas eu tellement de répercutions au niveau scolaire mais beaucoup sur moi parce que j’ai eu un traumatisme crânien, et maintenant j’ai des troubles de la concentration et de la mémoire. C’est pour ça que je me rappelle de rien.
J’ai gardé une petite boîte à l’intérieur de laquelle j’ai rangé les agrafes qu’il y avait dans mon bras, parce que c’est la seule chose concrète qu’il me reste de mon accident.
Je n’ai jamais pu parler avec un psychologue vu que je n’ai pas de souvenir, il n’y a rien à raconter. Je me rappelle que des jours où ça allait bien, je ne garde aucun souvenir des moments où j’allais mal. C’est la mémoire sélective.”

" J’ai eu des problèmes familiaux qui ont fait qu’intérieurement, je ne suis pas tellement en paix avec moi-même. Vers l’âge de 14 ans j’ai commencé à prendre du poids.
C’était des petites remarques vite fait mais c’est justement ces mots-là qui blessent le plus, ceux qu’on dit pour rire et qui ne sont pas très drôles en fin de compte.
Un jour, j’en ai eu marre des reproches.
J’avais mes périodes où je pouvais manger juste un fruit dans la journée.
Je pesais 54 kilos à 14 ans et je suis descendue à 39 en un an.
Cela fait neuf mois que je me force à manger tous les jours deux à trois repas, pour faire plaisir à ma mère. Mais intérieurement je sais toujours que je ne me plait pas dans le miroir.
C’est aussi avec les magazines, tu te mets dans la tête que tu peux être comme ces filles alors qu’en fait c’est tout retouché, on est d’accord ?
Pendant la période où ça n’allait vraiment pas, j’ai beaucoup écrit dans mon journal intime, cela m’a aidé de poser mes angoisses et mon combat sur le papier.
J’ai vu pas mal de psychologues mais ça ne m’a jamais vraiment aidé, ce n’est pas eux qui m’ont aidé à remanger.”

" J’ai un tatouage dans le bas du dos, il est pour mon meilleur ami qui est décédé.
On s’est rencontré par hasard au Paléo, c’était un peu improbable mais c’est le genre de personne que tu croises et que tu sais directement qu’il va marquer ta vie.
C’était vraiment une évidence. Comme un coup de foudre, mais en amitié.
On avait 17 ans. On n’a pas eu beaucoup de temps, deux ans seulement, mais ça a été deux ans tellement importants pour moi.
Quand il est décédé ça a été très dur parce qu’on ne s’y attendait pas. C’était un arrêt cardiaque. Ça a été un peu soudain. Normalement, tu ne perds pas un ami à 19 ans.
Il y a beaucoup de questions, beaucoup de colère aussi. Et après tu apprends à vivre avec.
Je garde tous les beaux souvenirs, et je pense que j’en suis sortie plus forte. Je profite de l’instant présent alors qu’avant je me disais que j’avais toute la vie.
Il m’avait aidé à réparer un vieux tourne-disque et m’avait offert mon premier vinyl, The Wall des Pink Floyd. Impossible de l’écouter sans penser à lui…
Ce tatouage c’était le dernier hommage que je pouvais lui faire. Il représente un mandala, parce qu’il peut se répéter à l’infini. Au centre il y a une ancre, c’est le symbole de l’attachement éternel. Et le mandala représente une fleur pour la jeunesse, pour l’épanouissement, pour la vie. C’est moi qui l’ai dessiné. “
" Elle s’appelait Marion, elle est décédée d’un accident de scooter.
Je l’ai appris au gymnase. Quand les profs l’ont su ils n’ont pas fait attention de le dire aux amis proches d’abord.
Pendant les jours juste après avec mon groupe d’amies on a toute dormi les unes chez les autres, on avait besoin de rester ensemble parce qu’on n’arrivait pas à être toutes seules.
Avant j’avais l’impression que ça n’arrivait qu’aux autres. Je n’avais pas du tout peur, j’en avais rien à faire que mon copain conduise trop vite par exemple. C’était la première fois que je perdais quelqu’un d’aussi proche.
C’était une fille incroyable. Tu ne la voyais jamais triste. Elle disait toujours : «C’est pas grave, y a pire ». C’était cool. C’est ce qui m’a manqué le plus à la fin.
Au final tu restes là avec plein de souvenirs dans la tête. Je ne pourrais pas en choisir un seul, mais les plus beaux restent quand même nos balades à cheval.
Ça faisait un moment qu’on voulait manger ensemble à midi. J’avais décalé au mercredi. Elle s’est tuée le mardi soir. On se dit que repousser un rendez-vous d’une journée c’est pas grand-chose, mais moi ça m’a fait manquer mon dernier vrai moment avec elle.
Quand je fais quelque chose de chouette je me dis : « Réfléchis bien, parce que ça elle peut plus le faire. Et un jour moi aussi je le ferais peut-être plus ». C’est comme si je profitais pour elle. Je suis sûre qu’elle sait. Qu’elle le sent quand on pense à elle.
J’ai l’impression qu’elle est partie en vacances, qu’elle va rentrer et que je pourrais la serrer dans mes bras. Je n’arrive pas à me dire que je ne la verrais plus jamais. “
